61.
— Si ça te dérange pas, je vais rester ici aujourd’hui et me reposer un peu. J’ai encore mal à la jambe et je suis épuisé.
Assis sur le rebord de la fenêtre, les cheveux en bataille, les traits tirés, Ari avait les poings serrés au fond des poches de son jean. Il avait dormi une heure à peine. Toute la soirée, il avait regardé les agents de police chercher des indices dans l’appartement de Lola, puis il était finalement parti porte de Champerret, chez Iris, qui avait proposé de les accueillir, lui et son chat.
Dans un geste désespéré, il avait essayé plusieurs fois de joindre Lola sur son portable, mais était tombé chaque fois sur le répondeur. Abattu, il avait fini par obéir à Iris qui le suppliait d’essayer de dormir.
Nerveux, se retournant sans cesse dans le canapé-lit que sa collègue lui avait préparé, il n’avait trouvé le sommeil qu’à l’aube, puis s’était réveillé une heure plus tard en entendant Iris se lever.
— Bien sûr, Ari. Je t’ai laissé un double des clefs sur la table. Mais repose-toi vraiment, hein ? Tu as une tête pas possible.
— Je n’arrête pas de penser à Lola, avoua-t-il dans un murmure. Je me demande ce qu’ils lui ont fait.
— Je suis sûre qu’elle va bien, Ari. Ils veulent s’en servir pour faire pression sur toi. Ils ne lui feront rien.
— Ils n’ont pas intérêt.
— Bon, il faut que j’y aille. Tu peux dormir dans mon lit, si tu veux, il est plus confortable que le canapé… Enfin, tu le sais déjà, ajouta-t-elle avec un sourire entendu.
— Dis-moi, Iris, tu veux bien chercher un truc pour moi à Levallois ?
— Encore ? s’exclama-t-elle. Mais tu ne lâches jamais, toi ! Tu veux pas penser à autre chose qu’à ton enquête, juste aujourd’hui ? Lever le pied ? Je croyais que tu voulais te reposer !
— C’est ce que je vais faire. C’est pour ça que je te demande à toi. Et puis, tu sais, je ne lâcherai pas le pied tant que j’aurai pas retrouvé Lola.
— Bon, qu’est-ce que tu veux, cette fois ?
— Il semble que la piste du Vril soit la bonne. Je n’ai pas eu le temps d’étudier ça en profondeur, l’autre jour. Si t’as le temps, trouve-moi tout ce que tu peux sur cette foutue confrérie.
— Ça marche. Je te garantis rien ; en début de semaine, c’est pas le boulot qui manque. Je verrai ce que je peux faire. Mais promets-moi de te reposer vraiment.
— Promis.
Elle lui déposa un baiser sur le front et sortit de l’appartement.
Ari resta quelques minutes près de la fenêtre, le regard perdu dans la rue en contrebas, puis il partit se coucher dans le lit de son ex. Il reconnut son parfum sur l’oreiller et repensa aux quelques mois qu’il avait passés avec elle. Puis, immanquablement, ses pensées dérivèrent vers Lola. Une boule se noua aussitôt dans sa gorge. Il s’en voulait tellement !
Comment avait-il pu prendre le risque de la mêler à tout ça ? Comment avait-il pu être assez stupide pour loger chez elle alors qu’il se sentait menacé ?
L’absence de la libraire était comme une torture de chaque seconde, une douleur persistante que rien ne pouvait soulager. Ari se sentait accablé par la culpabilité. Il aurait voulu lui parler, maintenant. Lui dire. Le visage de la libraire se dessina dans sa tête.
Je t’aime Lola. Je ne connais pas d’autres mots pour dire ce que je ressens et je regrette tellement de ne pas te l’avoir dit plus tôt, tout simplement, quand tu étais là, devant moi, au creux de ces bras qui, maintenant, ne peuvent plus te serrer. J’aimerais tellement t’offrir ce que je ne pouvais t’offrir, parce que je n’en avais pas le courage ou parce que je savais que tu méritais bien mieux que ça. Bien mieux que ce qu’un homme comme moi peut te donner. Tu es un ange qui s’ignore, Lola. Une perle au milieu des cailloux. Et c’est peut-être ce qui te rendait inaccessible. J’avais peur de t’abîmer. Et combien je le regrette, à présent que tu n’es plus là !
Mais je te retrouverai. Je te retrouverai où que tu sois. Je ferai ce que j’ai à faire. Cela prendra le temps qu’il faudra. Mais je te retrouverai. Parce que la vie, sans toi, n’a plus de sens.
Ari essuya une larme au coin de l’œil. Il se sentait idiot de pleurer ainsi, comme un gosse, plongé dans l’obscurité de la chambre d’Iris. Mais c’était plus fort que lui. Tout s’accumulait. La mort de Paul, le stress des jours qui avaient suivi, et maintenant la peur de ne plus revoir Lola.
Soudain, son téléphone se mit à sonner. Il se racla la gorge, décrocha et reconnut la voix du procureur Rouhet.
— Mackenzie, je peux vous garantir que tout va être fait pour retrouver votre amie. J’ai eu à l’instant une conversation avec le ministre de l’Intérieur en personne.
Ari se frotta les yeux et se redressa sur le lit. Il essaya de masquer son trouble.
— Et ça devrait me rassurer ? lança-t-il d’un ton cynique.
— Écoutez, croyez bien que tout le monde prend cette affaire très au sérieux. Le ministre m’a assuré qu’il en ferait une priorité.
— Vous n’auriez jamais dû la laisser rentrer seule chez elle après l’accident.
— Nous allons la retrouver, Ari.
L’analyste resta silencieux. Il n’avait pas envie d’en parler davantage, cela ne faisait qu’augmenter son angoisse.
— J’appelais justement pour vous informer que nous allons vous mettre sous protection, à présent.
— Non merci.
— Vous n’avez pas le choix, Ari. Ne faites pas l’imbécile.
— Je peux me défendre tout seul.
— Je n’en doute pas. Mais ce sera encore mieux si vous êtes protégé…
— Je suis désolé, mais je n’ai vraiment pas envie de me trimballer toute la journée avec deux flics à mes basques, monsieur le procureur.
— Ce n’est pas ce que je vous propose. Tant que l’affaire ne sera pas résolue, nous allons, à titre exceptionnel, vous assigner un garde du corps du SPHP[12] avec une habilitation judiciaire. Il pourra vous aider et vous accompagner.
— Je vous dis que c’est inutile.
— Ordre du ministre, Mackenzie.
Ari leva les yeux au plafond, exténué. Il préféra changer de sujet.
— Alors ? Cette piste sur laquelle était Allibert ? Ça a donné quelque chose ?
— Le commissaire est en train d’interroger la personne en ce moment même à Versailles. Le directeur adjoint Depierre vous appellera en fin de journée pour que vous retrouviez votre garde du corps et je lui communiquerai les résultats de cette audition. En attendant, reposez-vous et ne faites rien de stupide.
Ari raccrocha et referma les yeux. Au bout d’une heure, à bout de forces, il finit par s’endormir d’un sommeil agité.